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                                                                     Les origines de la première Guerre Mondiale

 

Les origines
de la première Guerre Mondiale.



par Marc Nadaux

 



Introduction.
1. Un contexte de grande tension internationale.
2. Le nationalisme et la guerre prochaine.
2. Le déclenchement du conflit.


 






Introduction.


 

La première Guerre Mondiale ou la fin d'un monde. Avec l'été 1914, s'achève le siècle, le XIXème siècle, et les historiens s'interrogent encore au sujet de ce moment particulier qui a vu le continent s'embraser.

Car cette question est loin d’être négligeable. On peut légitimement se demander ce qui a pu pousser à l’affrontement les principales puissances européennes et mondiales ? Celles-ci se connaissent, savent les risques encourus, c’est-à-dire jeter des millions d’Hommes face à face sur les champs de bataille.

Elle est aussi fondamentale. Ainsi, en 1919, au terme du conflit, les Alliés, vainqueurs, ont affirmé la responsabilité de l’Allemagne de Guillaume II dans le déclenchement de la guerre. L’article 231 du Traité de Versailles dit ainsi : " L’Allemagne reconnaît qu’elle et ses alliés sont responsables de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les gouvernements alliés ".
De fait, l’Allemagne est déclarée coupable de la catastrophe, ceci justifiant le paiement d’énormes indemnités de guerre, à la France notamment, le démantèlement de sa force militaire, la cession de ses brevets industriels... Ici, la question des responsabilités dans le déclenchement du conflit est instrumentalisée.

Enfin, l’entrée en guerre des puissances européennes s’est décidée en l’espace d’un long mois de tractations et d’annonces entre États, en quelques semaines d’un drame diplomatique. Celle-ci a surpris les contemporains. A t-elle point que la question de savoir qui sont les responsables du déclenchement du conflit a pu paraître obscure.


Il est commode de distinguer :

. des causes globales, l’époque en elle-même et ses enjeux, autrement dit les rivalités européennes.
. de la chronologie du déclenchement du conflit.


 

1. Un contexte de grande tension internationale.


 

Les puissances européennes sont en lutte à cette époque au sujet des quelques territoires, africains notamment, qui demeurent encore à coloniser. Ici, la première Guerre mondiale rejoint un des autres grands phénomènes de l’histoire contemporaine : la colonisation.


 

L'Affaire de Fachoda (1898).


 

Dans ce domaine, et concernant la France, l’antagonisme franco-anglais, s’est éteint et a laissé place à la fin du XIXème siècle à un profond différent franco-allemand.

La France et la Grande-Bretagne ont des ambitions contraires qui nourrissent un très fort antagonisme. Depuis qu’elle occupe l’Égypte, en 1882, l’Angleterre rêve de constituer à son profit un axe Nord - Sud Le Caire - Le Cap. De son côté, la France veut relier ses possessions de Dakar, en Afrique occidentale, avec Djibouti, sur les bords de l'Océan indien, suivant un axe Ouest - Est. En 1898, la crise de Fachoda, une ville située sur le Haut-Nil, constituera un paroxysme dans cette lutte impérialiste des deux puissances colonisatrices. 


 




 

En 1896, la France décide d’envoyer de nouveau une mission d’exploration en Afrique. Baptisée " Congo - Nil ", celle-ci est placée sous les ordres du capitaine Jean-Baptiste Marchand. L'objectif du gouvernement français est double : se porter avant les Britanniques sur le Haut-Nil (l'actuel Soudan) depuis les territoires d’Afrique occidentale sous contrôle français afin d'y implanter un nouveau protectorat, mais aussi contester l’hégémonie britannique sur le fleuve et contraindre le gouvernement de Lord Salisbury à rouvrir les négociations à propos de l'Egypte, du contrôle du canal de Suez notamment.

Pour réaliser ce périple, d'Est en Ouest à travers l'Afrique, le capitaine Marchand est accompagné de huit autres officiers et sous-officiers, d'environ deux cent cinquante tirailleurs sénégalais et de plusieurs milliers de porteurs. Il lui faut également se charger de plus de six cents tonnes de matériel, dont des kilomètres de textile et seize tonnes de perles vénitiennes afin de séduire les chefs africains ... Partie le 24 juillet 1896 de Loango, un poste français sur le littoral atlantique, au nord de l’estuaire du fleuve Congo, l’expédition remonte le grand fleuve, puis le Bahr-el-Ghazal avant de parvenir sur le Nil.

Après avoir parcouru le continent africain sur plus de 5.500 kilomètres, la Mission " Congo - Nil est à Fachoda, le 10 juillet 1898. Précisons que cette ville du Soudan se nomme aujourd’hui Kodok et est située sur la rive droite du Nil Blanc, à huit cent km au Sud de la capitale Khartoum.

Trois mois après le capitaine Marchand, le 18 septembre 1898, une armée anglo-égyptienne de trois mille hommes de troupe commandée par Lord Kitchener - et sest 3.200 hommes de troupe, ses 20 canonnières - parvient à Fachoda, après avoir remonté le Nil. Celui-ci ne compte pas laisser des " Européens quelconques " lui interdire de contrôler le cours du fleuve, de son delta jusqu’à ses sources ... Après quelques négociations, les Britanniques établissent un blocus autour de la place de Fachoda et la crise, de locale, devient très vite internationale. Les relations entre la France et le Royaume-Uni se tendent à un point qui fait craindre, l’espace d’un instant, qu’une guerre est possible. Après l’ultimatum anglais cependant, Théophile Delcassé, nouvellement nommé au Quai d'Orsay, donne l’ordre à l’officier français de se retirer, le 4 novembre suivant.

A cette occasion, la France recule. Pourtant l’habile négociateur qu'est Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères, transforme cette renonciation sans gloire en succès diplomatique. La crise de Fachoda permet en effet de réconcilier les deux puissances coloniales, puisqu’un accord est conclu dès le 21 mars 1899 qui fait disparaître les points de friction sur le continent africain. Celui-ci offre la totalité du bassin du Nil à l'Angleterre, qui renonce en échange à ses ambitions marocaines. Sont alors jetés les prémices d'une " Entente cordiale " entre les deux nations. Celle-ci se concrétise le 8 avril 1904 sous le ministère que dirige Émile Combes.


 

Les deux crises marocaines (1905 -1911) et le contentieux franco-allemand.


 

Depuis le début du XXème siècle, l'affrontement entre la France et l'Allemagne à propos du Maroc conduit à une multiplication des incidents diplomatiques. Cette dernière, au nom de la Weltpolitik initiée par son empereur Guillaume II, souhaite prendre pied au Maghreb, qui est également un objectif français depuis Fachoda.

Ainsi, au mois de novembre 1904, la France accorde un prêt énorme au sultan, ce qui équivaut à une mise sous tutelle de ses finances. 1905 : Guillaume II, l’empereur allemand, effectue une visite au Maroc et y affirme son indépendance. 1906 : pour dénouer la crise, une conférence est réunie à Algésiras en Espagne. L’entente franco-anglaise fonctionne, l’Allemagne est isolée et l’Empereur cède. Le 1er juillet 1911, une canonnière allemande, la Panther, est envoyée au large du Maroc, pour tenter de s'opposer au coup de force français. A cette époque, des troupes françaises occupent des territoires marocains pour résoudre notamment des problèmes frontaliers - d’avec l’Algérie.


 




 

Le 4 novembre suivant, un accord de troc entre les deux puissances rivales est signé : l’Allemagne accepte de se désintéresser de l’Afrique du Nord en échange de la concession d’une part importante du Congo, entre le Cameroun et les possessions belges. L’incident d’Agadir se révèle ainsi favorable à la France. Mais cette fois-ci, en France, les autorités décident le rappel des réservistes, la GB met sa flotte en alerte. Si l’Allemagne recule de nouveau à la suite de longues tractations, on sait que le recours à la guerre pour régler un éventuel contentieux entre états européens est possible.

Hors, au-delà des affaires marocaines, il existe bien un contentieux – ancien en 1914 – entre la France et l’Allemagne : la question de l’annexion par cette dernière de l’Alsace-Lorraine. Celle-ci remonte en effet à 1871 et au traité de Francfort, à la défaite française face aux armées allemandes. A cette occasion d’ailleurs, autour du chancelier prussien Bismarck – qui est à l’origine du déclenchement du conflit – et de son roi Guillaume Ier est proclamé l’Empire allemand. Hors celui-ci repose sur l’idée de communauté allemande, de peuple allemand, de nation allemande, dont le fondement est ethnique. Est Allemand celui qui parle allemand. En ce sens, l’Alsace-Lorraine est proclamée Terre d’Empire et annexée en 1871.

L’annexion entretient l’esprit de Revanche chez les Français. A la défaite et à l’occupation du territoire français par les armées ennemis, pendant le conflit – assez court – mais aussi jusqu’en 1873, s’ajoute l’humiliation, ce sentiment que la France est amputée de ces régions de l’Est qui sont siennes. Le souvenir doit en demeurer d’ailleurs. Et l’historien décrit souvent cette image de l’instituteur dans sa salle de classe qui montre à ses élèves sur une carte murale les provinces perdues coloriées en noir. C’est aussi Georges Clemenceau qui en 1885 accuse le président du Conseil Jules Ferry de détourner le regard des Français de " la ligne bleue des Vosges " - donc de l’Alsace-Lorraine et de la Revanche – avec sa politique coloniale, cette expédition militaire au Tonkin. Ce désir de Revanche entretient d’ailleurs chez les Français dans le culte de l’armée en cette fin de XIXème siècle. C’est l’Arche sainte, l’instrument de la Revanche. 

Ce désir, cette passion nationaliste est un des traits fédérateurs du nationalisme français sous la troisième République. On peut néanmoins  s’interroger sur ce désir de laver l’affront de 1871 et de récupérer les provinces perdues. S'il est bien présent au cours des deux premières décennies qui suivent le conflit, la génération de ceux qui y ont participé - songeons à Paul Déroulède - tend à disparaître avec le nouveau siècle. Les Français sont clairement patriotes et le montrent chaque année, où le 14 juillet est l’occasion de grands rassemblements populaires. Mais est-on encore prêt, quarante années plus tard, à mourir pour l’Alsace-Lorraine ?


 




 

L’historien là ne peut que faire des conjonctures en multipliant les signes, par exemple ces documents issus du Petit Journal et qui courent sur une vingtaine d'années, car le sondage d’opinion n’existe pas encore. Ceux-ci montrent l'hostilité des Alsaciens-Lorrains à l'annexion, l'amour de la France qui demeure chez eux, l'oppression qu'ils subissent de la part des autorités allemande... 


 

2. Le nationalisme et la guerre prochaine.


 

L’opinion justement. Car, au cours de ces années, à chaque événement qui concerne la vie de la nation, il faut compter avec l’opinion publique, avec l’ensemble des Français. Et ceux-ci sont nationalistes.


 

Les opinions publiques sont nationalistes.


 

Il faut d'ailleurs, avant d'en venir proprement au nationalisme des Français de la Belle Epoque, différencier cette  passion nationale du patriotisme. Car celui-ci est un noble sentiment, le fait d'aimer sa patrie, la terre de ses ancêtres, la France ou tout simplement son clocher. C'est ce que l'on enseigne aux petits Français à l'école primaire, devenue obligatoire aux débuts des années 1880 avec les lois Ferry. Ce sentiment s'incarne dans l'histoire de France, ses héros, dont on entend le récit des hauts faits, dans le régime politique si généreux et si bénéfique pour tous, la République. Il se montre également chaque année, le 14 juillet, devenu " fête nationale " en 1880, à l'heure où rententit la Marseillaise, ce chant qui signifie liberté jusqu'à l'autre bout de la Terre...

Mais en ces décennies qui vont clore le siècle des révolutions, ce patriotisme se teinte bien volontiers de nationalisme, autrement dit d'un appétit, d'une exaltation de la puissance nationale. Comme nous le montre Le Petit Journal, aimer son pays, c'est aussi, en 1900, être prêt à le défendre contre les agressions extérieures, celles de l'Allemagne de Guillaume II, l'empereur belliciste. En 1870, déjà, la France avait dû faire face à l'agression allemande et l'année suivante, à cette monstruosité, l'annexion de l'Alsace-Lorraine. En ces années d'ailleurs, les rivalités internationales autour des derniers territoires à coloniser, africains notamment,  exacerbe ce sentiment national.

Le 16 mai 1899, presque trois ans après avoir quitté la côte atlantique, l'expédition Marchand atteint, après Fachoda et le Haut-Nil, le second objectif qui lui a été assigné, l’Océan Indien, réalisant ainsi la grande traversée Ouest-Est de l’Afrique. Quelques mois plus tard, le commandant Marchand reçoit un accueil triomphal à son débarquement à Toulon. A Paris, il est un nouveau héros national, son cortège étant suivi d’une foule qui le porte à travers la capitale jusque sous l’Arc de Triomphe. Son effigie s’achète sur des gravures, vignettes, cartes postales, assiettes… Et le début du siècle suivant est fait de ces événements fédérateurs pour le nationalisme, les deux crises marocaines notamment. Car c’est aussi l’âge d’or de la presse. On connaît les « Supplément illustrés » du Petit Journal qui tire à plus de 2 millions d’exemplaires. C’est l’occasion pour ces journaux populaires de montrer les événements et de stigmatiser l’odieux Guillaume.


Venons en à l’Angleterre et à l’Allemagne à présent. Car elle aussi connaît le nationalisme, qui s’inscrit chez les Anglais dans le passé glorieux de la monarchie, la personne de Victoria, l’Empire, la Royal Navy, la puissance économique. Hors, en ce début du XXème siècle, et après des décennies de domination absolue, l’Angleterre , « l’atelier du monde » subit de plus en plus la concurrence de l’Allemagne de Guillaume II. Celle-ci est
dans les années 1890 la puissance montante sur le continent européen. Sa population a connu une forte croissance en ces dernières décennies. Avec ses 60 millions d’habitants, elle dépasse et de loin à présent les 40 millions d’Anglais ou de Français. Ses firmes géantes dans les domaines de la chimie, de l’électricité ou de la mécanique concurrencent à présent les fleurons de l’industrie britannique. L’Empereur allemand tire d’ailleurs bientôt les enseignements de cette nouvelle place de l’Allemagne dans le monde en développant une nouvelle politique de grandeur nationale : la Weltpolitik. Son credo l’Allemagne doit avoir " sa place au soleil " aux cotés des puissances coloniales : France et Angleterre.


 




 

Là aussi, les Allemands sont nationalistes. Celui-ci prend également la forme de l'impérialisme, le pangermanisme qui est un des soutiens dans l’opinion allemande des ambitions nouvelles de l’empereur Guillaume II, sa Weltpolitik, sa politique mondiale. Déjà dans les géographes allemands développent le concept d’espace vital, de Mitteleuropa – une Europe centrale dominée par l’Allemagne et son allié autrichien. Ces projets et autres ambitions s’affichent au grand jour et sont même porté par des ligues très influentes - aujourd’hui on dirait des groupes de pression, des lobbies – comme la Ligue pangermaniste (20.000 adhérents), la Société coloniale (42.000), la Ligue navale (1.300.000), la Ligue militaire (1.500.000). Cette forme de nationalisme est donc un phénomène de masse dans l’Allemagne du début du XXème siècle.

Ajoutons que cette politique nouvelle s'illustre notamment au Maroc pour lequel France et Allemagne sont en lutte, ce qui multiplie le risque du déclenchement d'un co
nflit. Politique nouvelle, risque de guerre... Il faut donc s'armer


 

La " course aux armements ".


 

Voyons le cas allemand. En Allemagne, Guillaume II succède au pouvoir à son père, mais surtout au chancelier Bismarck en 1890. Ce dernier, après avoir réalisé son objectif de l’unification allemande a cherché sur le plan diplomatique a isolé la France. Pour cela, il multiplie les alliances en Europe. Sa politique est donc essentiellement continentale. Guillaume II lui a d’autres ambitions. Avec lui, l’Allemagne a à présent des intérêts en Turquie, au delà donc de l’Europe ce qui nécessite l’entretien d’une marine de guerre. Avec l’Amiral Tirpiz, il développe le projet d’une Kriegsmarine en 1898 : 36 cuirassés et 38 croiseurs doivent être lancés en 16 ans. Les dépenses d’armement explosent et en Angleterre, où la marine de guerre est un des attributs de la souveraineté – souvenons nous des guerres napoléoniennes et de Trafalgar – on s’inquiète. D’ailleurs chaque lancement nouveau de ces navires de guerre, les cuirassés, ces nouveaux rois des mers, est en Allemagne un événement.

En France, après l'affaire Dreyfus, l'affaire des Fiches et les différentes expéditions jalonnant la pénétration française sur les continents africains et asiatiques,  la chose militaire revient sur le devant de la scène politique. Les crises marocaines - de 1905 et 1911 - signalent en effet aux dirigeants au pouvoir qu'un conflit ouvert avec l'Allemagne de l'Empereur Guillaume II, est de nouveau possible. Le désir de réintégrer à la Nation les provinces d'Alsace-Lorraine perdues en 1871 rend la guerre inévitable et entretient les Français dans le culte de l’armée. C’est l’Arche sainte, l’instrument de la Revanche. Ceci justifie la course aux armements, autrement dit un effort financier conséquent pour mettre l'outil militaire à un haut niveau de technicité et d'équipement. L'état-major lui-même entreprend un grand effort de réflexion stratégique, tandis que le service militaire universel lui permet d'envisager " un rôle social " pour l'officier.

En 1913, à l’Assemblée nationale, les parlementaires débattent de nouveau à son propos au sujet de la " loi des 3 ans ", autrement dit le passage du service national - qui est obligatoire pour tous les Français au lendemain de la défaite de 1871 depuis les lois de 1872 et 1875 - d'une durée de deux à trois ans. Cette nouvelle disposition, voulue par le général Joffre, alors chef d’état major des armées, s’explique par une logique comptable et un raisonnement évident aux yeux de beaucoup de ses contemporains. L’ennemi futur est allemand, il est plus nombreux et pour pouvoir lui résister il faut aligner un nombre suffisant de fantassins rapidement, autrement dit compter dans un premier temps sur les conscrits qui sont en casernes. Et si le service militaire de ces derniers dure davantage – une année supplémentaire - , leur nombre total sera suffisant à résister au premier choc de l’invasion ennemi.


Puisqu’il il y a risque de guerre, et les opinions publiques aussi bien que les hommes au pouvoir en sont convaincus, on s’arme et on se prépare en créant également des alliances militaires.


 

Les systèmes d’alliance en Europe.


 

La Triplice est la plus ancienne. Elle est l’œuvre du chancelier prussien Otto von Bismarck. Ce dernier est le grand homme politique dans l'Europe du second XIXème siècle. Son œuvre principale : l'unité allemande. Par quel moyen : " par le fer et par le sang ". A quel prix : au détriment de l'Autriche-Hongrie et de la France du Second Empire, et avec l'annexion de l'Alsace-Lorraine. Désormais les Français ont la haine de l'Allemand, le souvenir de ces provinces perdues les hantent et leur horizon doit être celui de la " ligne bleue des Vosges ". Aussi le chancelier allemand cherche sur le plan diplomatique à isoler la France de la Troisième République. En 1879, sous son impulsion, un premier rapprochement a lieu entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Treize années seulement après Sadowa ! En 1881, les Français ayant pris pied en Tunisie, l'Italie demande son intégration dans l'association germano-autrichienne. Le 20 mai, un accord tripartite, la Triplice ou Triple Alliance, voit donc le jour.

En France, les manœuvres diplomatiques italiennes sont vécues comme une trahison, comme nous le montre cette une du Supplément illustré du Petit Journal. Comment oublier Magenta et Solferino, le sang versé par les soldats français pour le peuple italien et son unité !


 




 

Fort heureusement pour la diplomatie française, le système bismarckien s'effrite dans la décennie suivante, avec l'alliance militaire franco-russe. Le 27 août 1891, une convention militaire secrète est signée entre la France et la Russie. Après le lancement du premier emprunt russe sur la place de Paris, au mois de décembre 1888, la Troisième République choisit de se rapprocher du tsar Alexandre III, un autocrate ! Ce choix diplomatique contre-nature est dicté par les impératifs de la politique internationale. La France, esseulée par l'action énergique du chancelier allemand Bismarck, se cherche un allié. Ce sera la Russie et cet accord, officialisé le 27 décembre 1893, après que la flotte russe ait séjournée dans la rade de Toulon, suscite l'enthousiasme de l'opinion publique. La détestation de l'Allemagne et de l'Angleterre avant tout !

Français et Anglais. En cette fin de siècle, l'antagonisme demeure, alors que l'opinion publique en France vient de soutenir les Boers pendant la guerre en Afrique du Sud (1899 - 1902). La crise de Fachoda cependant permet de réconcilier les deux grandes puissances coloniales, puisqu’un accord est conclu dès le 21 mars 1899 qui fait disparaître les points de friction sur le continent africain. Théophile Delcassé, alors ministre des Affaires étrangères, donne l’ordre à l’officier français de se retirer. En France, cette reculade choque l'opinion, gagnée au nationalisme. Pourtant l’habile négociateur transforme ce départ sans gloire en succès diplomatique.  Sont alors jetés les prémices d'une " Entente cordiale " entre les deux nations. Celle-ci se concrétise le 8 avril 1904 sous le ministère que dirige Émile Combes, lorsqu'un accord signé à Londres par le secrétaire au Foreign Office, Lord Lansdowne, et l'ambassadeur de France, Paul Cambon. Celui-ci a pour objectif de rompre l’isolement de la France et de bouleverser l’équilibre européen au détriment de l’Allemagne. L'initiative en revient au roi d'Angleterre, Edouard VII, qui se décide à entreprendre un voyage officiel à Paris. En ce mois de mai 1903, le souverain réussit le tour de force de séduire les Parisiens et, bientôt, la France entière. Cette visite précède de quelques mois le traité diplomatique qui rompt avec des décennies, voire deux siècles, de guerres, de brouilles, d'inimitié franco-britannique.


 




 

Avec le nouveau siècle, se crée donc un autre système d'alliances en Europe, concurrent de celui qui lie l'Allemagne et l'Autriche à l'Italie. Sur le plan stratégique, l’œuvre de Théophile Delcassé oblige même le haut état major allemand a élaboré un nouveau plan militaire entre 1898 et 1905, l’œuvre de von Schlieffen, qui prend acte de cette nouvelle donne diplomatique de l'Europe. Contrainte de combattre sur deux fronts, l’Allemagne choisit en conséquence de faire porter tous les efforts sur une rapide victoire à l'ouest. Ce n'est qu'une fois la France vaincue qu'elle prévoit de se retourner contre la Russie, dont la mobilisation sera nécessairement plus lente. Ce plan pour être appliqué obligerai cependant l’Allemagne de Guillaume II à l’initiative. Ajoutons que dans le Reich, la psychose de l’encerclement est très présente. Le contexte est on le voit donc pour toute ces raisons explosif. La rivalité est bien présente entre les peuples européens, qu’exacerbent leur nationalisme respectif. Et 1914 ressemble fort à une veillée d’armes. Pourtant, s’il y a risque de guerre, il faut aussi bien se garder de la croire comme à cette époque comme inévitable. Plus tard en effet, au sortir de la seconde Guerre mondiale, Russes et Américains vont aussi s’armer, créer des alliances militaires, diviser le monde en deux camps. Pourtant ce conflit inévitable les opposants directement n’aura pas lieu.


 

3. Le déclenchement du conflit.


 

Guerre et impérialisme.


 

A partir de 1908, le continent européen connaît deux guerres en cinq ans, dans les Balkans. Cette région du Sud de l’Europe s’embrase du fait de l’affaiblissement de l’Empire ottoman. Celui-ci est ébranlé par la révolution des Jeunes-Turcs en 1908 et son voisin autrichien en profite pour mettre la main sur la Bosnie voisine. Les Etats balkaniques croient également le moment venu de chasser définitivement les Ottomans de la péninsule. Une Ligue les rassemble en 1912 et la Turquie, dont les troupes sont décimées par le choléra, doit céder face à la Grèce, la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie coalisées. Ces alliés de circonstance se déchirent ensuite, l’année suivante, se liguant contre la Bulgarie. Ces conflits sont localisés et ne durent que quelques semaines, mais il révèle des ambitions territoriales et nationalistes.

L’instabilité chronique de la région en effet nourrit l’impérialisme des grandes puissances européennes, leur désir d’étendre leurs zones d’influence respectives. Depuis longtemps, la Russie nourrit des ambitions face à l’Empire ottoman. Déjà de 1854 à 1856, France et Angleterre s’étaient alliés afin de limiter l’avancée russe en Crimée. La Russie n’a plus alors qu’à regarder vers l’Asie pour trouver un terrain d’expansion. Mais celui-ci se referme en 1905, suite à sa défaite face au Japon. Dans les Balkans, elle trouve un allié de poids en la Serbie, qui a l’ambition d’unifier les Slaves du Sud. Le nationalisme serbe se teinte donc d’une volonté impérialiste, le panserbisme. Et il rejoint le panslavisme russe, l’appui du Tzar à ces mêmes Slaves du Sud. Les puissances centrales – Autriche-Hongrie et Allemagne – cultivent également des ambitions dans la région. L’Autriche-Hongrie qui annexe la Bosnie, mais aussi l’Allemagne qui a des intérêts dans l’Empire ottoman. Ce pangermanisme est un des soutiens dans l’opinion allemande des ambitions nouvelles de l’empereur Guillaume II, sa Weltpolitik, sa politique mondiale.

Pour les hommes de ce temps, la guerre n’est pas seulement un horizon plus ou moins proches, elle est véritablement présente au quotidien, dans l’actualité que diffuse la presse,
elle nourrit les réflexions, orientent la pensée des hommes politiques. Autrement dit, ces guerres balkaniques pèseront d'un poids très lourd dansles choix diplomatiques des uns et des autres au cours de l'été 1914. Loin d'être un événement localisé, elles sont l'histoire européenne.


 




 

La guerre présente et récurrente nourrit les réflexions, orientent la pensée des hommes politiques. Ainsi chez l’empereur d’Allemagne Guillaume II. Déjà chez son prédécesseur à la tête de l’Allemagne, le chancelier Bismarck, la guerre était un élément, une possibilité d’action. Il avait fait sienne la maxime du théoricien Clausewitz : " la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ". C’est ainsi que Bismarck réalise l’unité allemande " par le fer et par le sang ". L’entourage de l’empereur Guillaume II, la cour, est largement militarisé. C’est le milieu des officiers prussiens, garant de la solidité de l’Empire, tout auréolé de ses succès décisifs du milieu du XIXème siècle et qui ont forgé l’unité allemande face à l’Autriche et à la France. Pour l’Empereur, la guerre, un conflit localisé dans les Balkans notamment, peut être une solution, peut permettre de résoudre les problèmes territoriaux. Après tout, le plus fort l’emporte et fait taire les autres. C’est une forme de darwinisme appliqué aux relations entre les Etats et popularisé à cette époque par l’ouvrage du général von Bernhardi. Publié en 1912, L’Allemagne et la prochaine guerre est d’ailleurs un grand succès d’édition.


 

Un certain 28 juin 1914, à Sarajevo.


 

L'événement déclencheur va venir de cette région des Balkans. Le 28 juin, en visite en Bosnie annexée, l’héritier du trône d’Autriche, François Ferdinand, est assassiné.


 




 

La coupable, un nationaliste serbe de Bosnie. Les autorités autrichiennes soupçonnent immédiatement la Serbie voisine, l’Allemagne de son coté apporte son soutien à son seul allié. A Berlin, on conseille en effet à la couronne d’Autriche la fermeté. Si l’on sait qu’il y a risque de guerre, on le pense limité. C’est la politique dite « du risque calculé » défini avec son chancelier Bethman-Ollweg. Car on ne croit pas à un soutien inconditionnel de la Russie. D’ailleurs l’Autriche pourrait profiter de l’occasion pour éliminer la Serbie en tant que puissance dans les Balkans.

Du 6 au 25 juillet, l’empereur allemand est à bord de son yacht, en croisière sur la mer Baltique. A Berlin, von Moltke, son chef d’état-major lui multiplie les télégrammes de soutien en direction de Vienne. Le 23 juillet, l’Autriche adresse un ultimatum à la Serbie, avant le 25 de mobiliser ses troupes à la frontière. Le même jour, la Serbie fait savoir qu’un des 10 points du texte autrichien est inacceptable, soit l’ingérence de la police autrichienne dans l’enquête serbe sur l’assassinat de Sarajevo. De son coté, l’Angleterre multiplie ses propositions de médiations, 3 du 25 au 27 juillet, une chaque jour jusqu’à la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, le 28 juillet.

Le mécanisme des alliances se met en marche et aucun chef d’état ne l’arrêtera. La Russie, assuré du soutien français, mobilise ses troupes sur la frontière occidentale le 29 juillet. Deux jours plus tard, l’Allemagne, qui doit prendre l’initiative suivant le plan Schlieffen de campagne, déclare la guerre à la Russie le 1er août, puis à la France le 3 août. La veille, les troupes allemandes pénètrent en Belgique neutre. Dès lors, le Royaume-Uni entre aussi en guerre. Le bellicisme autrichien et allemand peut donc être sans conteste mis en cause. Dans ces 2 pays, on pense d’ailleurs la guerre inévitable. Au cours de cet été 1914, il faut également faire vite et profiter de la situation suivant une logique toute militaire. C’est faire preuve d’aveuglement et sous-estimer la force de l’alliance franco-russe.


 

En France...


 

En France, au cours de ce bel été 14, la déclaration de guerre sonne comme un coup de tonnerre.


 

" C’était la peine moisson. Quand on a entendu les cloches sonner, on s’est demandé pourquoi elle sonnaient comme ça. C’est le garde champêtre qui nous a annoncé la nouvelle. Ils disait à tous ceux qu’il croisait : C’est la guerre, c’est la guerre ! Vraiment ça n’avait pas l’air vrai, le mot lui-même ne semblait pas réel… Ce n’est que le lendemain, ou le surlendemain, que la guerre a commencé a montré son vrai visage. Quand les ordres de mobilisation générale et les feuilles de route sont arrivés dans les familles, les gens ont commencé à se rendre compte que la guerre était bien réelle. Tous les hommes valides recevaient leur feuille, la guerre c’était d’abord cela, la séparation. Il y en avait qui prenait cela à la rigolade : « Ca va nous faire des vacances en plein été ». Mais il y avait les autres, les inquiets qui voyaient tout en noir. Pour ceux-là, la guerre, ou tout simplement s’en aller en quittant les moissons, c’était la fin de tout. Finalement, ils sont tous partis. En l’espace d’une semaine, le village a changé du tout au tout. Il n’y avait plus un homme entre vingt et trente ans, ils étaient tous à la guerre.

 

Emilie Carles, Une Soupe aux herbes sauvages, 1977.


 

C’est donc la surprise dans les campagnes où l’on pense aux moissons, aux vendanges ; pour l’opinion publique qui suit les péripéties de l’affaire Caillaux, les débats au sujet de l’impôt sur le revenu. Et puis, il est à noter que tout s’est décidé dans les couloirs des ambassades, des palais princiers, dans le milieu des diplomates et des états-majors. Malgré tout, la mobilisation se fait comme prévu par les autorités. Les Français sont résolus à faire leur devoir, sans enthousiasme excessif, même s’il y a bien des rassemblements de foule dans les gares, des défilés de troupes militaire, à Paris notamment. Comme le souhaite le président Poincaré, c’est l’Union sacré. La guerre peut commencer.